La carpe ou le petit traité du Trésor Vivant.

Koi
Koi

J'avais envie de glisser quelques mots à propos de cette notion japonaise de Trésor Vivant, une dénomination, qui recouvre en fait la notion de "trésor national", c'est à dire depuis 1897, une liste d'objets, de lieux, voire de paysages, donc de l'immatériel, dont l'existence semble consubstantielle au Japon.


J'ai lu quelque part que cette liste ne comportait que 1082 pièces , dont seulement 252 objets d'art .


Il faut être attentif à la signification des choses, car s'esbaudir sur le fait que le Japon ou qui que ce soit d'autre, se mette à protéger quelque chose signifie que cette chose même a perdu quelque part de son ressort vital, qui lui permet de tenir debout toute seule.


Dans le même registre, on a mis en avant,dans les années 50, la notion de" trésor humain vivant", pour désigner un artiste porteur d'une telle valeur de savoir et de savoir faire, que son existence même releverait de la richesse patrimoniale d'une nation.


Immatériel...


Inorganique?


Savoir insaisissable par celui qui ne le posséde pas, que l'on ne

peut acheter et dont on ne peut déssaisir celui qui en est temporairement investi.


Les artistes laqueurs sont en première ligne parmi les artistes susceptibles de se voir attribuer cette distinction.

Pas forcément une bonne nouvelle, car celui qui s'en voit honoré l'est en général tout en fin de carrière ou de vie.


L'annonce de la distinction résonne un peu comme un ultime signal avant les enfers...

Parmi ces artistes de génie et précieux entre tous dans mon coeur fut Ogata Korin , le grand Maître du 17 eme siècle sur lequel je ne vais pas gloser aujourd'hui, mais dont je rappelle la grande influence qu'il exerce sur les laqueurs de Namiki, à travers divers iconographies et thèmes sur lesquels nous reviendrons forcément.


Il nous rappelle , pour ceux qui auraient perdu leur route, que les stylos Namiki sont des oeuvres d'art de premier ordre et surtout que l'on ne peut être laqueur sans être peintre et que la peinture comme l'écriture nous permet de communiquer plus surement avec le divin que n'importe quelle autre activité humaine, zazen excepté ( remarque particulière pour mon ami Tadahiro...).


Bon ...


Maintenant et à cette occasion j'ai envie de mettre mon petit grain de sel sur la question et c'est la raison pour laquelle je vous propose cette magnifique vision de cette carpe koï en levitation sur ce fond de laque noire roiro soupoudrée d'or nashiji.


Comme elle est calme et sereine dans sa belle livrée de cinabre sur ce fond noir angoissant d'eau putride .

Elle garde ses yeux bien ouverts , image de l'éveil,dans l'obscurité incohérente des passions.


La magie de l'artiste c'est de nous montrer quelque chose et ce quelque chose est vivant.

Mieux que vivant.

Objets inanimés avez-vous donc une âme?


Yes, Sir.


C'est évident dans ce travail de Michikami, que j'assure à cette occasion de mon soutien.

Cette oeuvre est un Trésor et ce trésor est vivant.

Pour vous faire plaisir, je vous rajoute en prime une jolie vue du capuchon de ce Shogun eye dropper, Poisson d'Or.


La noble bête a laissé la trace d'une apparition en surface à travers ce joli train d'ondes hélicoïdal réalisé dans le sens horaire, donc image du concret, en hiramaki-é d'or.


A ce sujet, ce Poisson d'Or est un des rares modèles de Namiki a étre réalisé en nashiji d'argent( ginji), ainsi qu'on peut le constater sur la photo dans l'espace reliant les deux carpes.

Par opposition et contraste le togigashi du haut de capuchon est en or (kinji).


Cette configuration technique est peu fréquente à cause de l'oxydation se produisant entre le mordant du rhus vernicifera et l'argent matière d'ailleurs déjà constatable sur certains modèles.

Ici le laqueur a pris tous les risques au nom de la beauté.


Ainsi, le sommet du capuchon, non visible sur les photos malheureusement, est réallisé en à - plat d'argent massif illusioniste du plus bel effet, puisqu'il représente l'eau vue de notre position d'humain et restant impénétrable à notre regard par l'effet de la refraction de la lumière.


Cet à - plat a déjà tendance à s'oxyder sur certains exemplaires comme j'ai pu le constater.



Peu importe.


Que c'est bien senti de la part de l'artiste, qui a su penser à tout et à nous proposer une mulitude de points de vue non seulement dans le respect de l'oeuvre du peintre dont il s'inspire et que j'identifie comme Hokkusai,mais encore en la complétant d'une manière totalement inattendue.L'esprit, le souffle et le mouvement comme l'illustre entre autres ce ponçage trop prononcé à dessein par le laqueur et produisant cet effet ondulatoire sur les écailles ventrales de l'animal.


Du vrai , du vivant.


Du côté du symbôle , toujours avoir la Chine en tête, avec la présence des deux carpes sur le capuchon, ce qui évoque la liberté du Bouddha dans l'espace et dans le temps.


Cependant, pour l'aspect profane d'un double sens , dont sont friands les insulaires, par ailleurs passés maîtres en subversion et grivoiseries en tous genres, la présence des deux carpes relate la passion amoureuse débridée de deux hommes pour la même femme.


Beaucoup de chaleur dans l'eau froide en vérité.


Les chinois,pour leur part et plus prudement,voire pudiquement, nomment cette composition "de l'or et du jade plein la maison".

Quand je vous disais qu'il fallait chercher le trésor dans l'oeuvre !

D'autres interprétations tout aussi pertinentes et complémentaires coexistent et nous les verrons ensemble lors d'un prochain post.


En attendant, bonne semaine et à Ciao.

 

 

 

 

 

 

KOÏ
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